ITP 2.1 et limitation de la durée de vie des cookies sur Safari : quelles menaces sur le marketing digital ?

Apple veut-il notre peau ? Le lancement de la dernière version de l’Intelligent Tracking Prevention (ITP) utilisé par Safari limite désormais à 7 jours la durée de vie des cookies first party, utilisés notamment par les solutions d’analytics et les plates-formes publicitaires.

 

Va-t-il falloir apprendre à composer sans les cookies ? L’annonce d’Apple le 21 février dernier n’en finit pas d’agiter la communauté des professionnels du marketing digital tant le cookie first party est la pierre angulaire des technologies de web analytics, d’AB Testing et de certaines plates-formes publicitaires (retargeting, programmatique).

Au-delà de 7 jours, un utilisateur de Safari :

  • Sera considéré comme un nouveau visiteur par les solutions analytics ;
  • Pourra être exposé à une version B d’un test alors qu’il avait précédemment vu une version A ;
  • Ne pourra plus être re-ciblé ou exposé à des publicités personnalisées.

Les conséquences sont loin d’être négligeables quand on sait que Safari dispose dans le monde d’une part de marché de 15,4% tous devices confondus et de 24,1% sur mobile (source : Wikipedia – Février 2019).

Si on y ajoute les parts de marché de Firefox qui va rejoindre le mouvement, 20,6% (tous devices) et 25,1% (mobile) des sessions pourraient désormais être impactées par la limitation à 7 jours de la durée de vie des cookies.

L’analytics, victime collatérale des mauvaises pratiques publicitaires ?

Face au phénomène de rejet de la publicité intrusive, Apple se positionne plus que jamais comme le porte-étendard de la lutte contre les pratiques abusives de pistage.

Si cette démarche est dans l’absolu louable, sa radicalité interroge :

  • La mission initiale d’ITP était en effet de lutter contre le tracking cross-domaines (le suivi d’un même individu sur plusieurs sites) à l’aide de cookies tiers ou third party. Ce dernier appartient à un domaine différent de celui du site visité, par exemple une régie publicitaire qui peut reconnaître un même utilisateur sur plusieurs sites, le profiler et lui adresser des publicités ciblées. ITP 1.0 ne laissait qu’une fenêtre de 24h pour exploiter ce cookie tiers, sauf si l’utilisateur interagissait clairement avec ce domaine tiers le 1er jour.
  • ITP 2.0, introduit en juin 2018 a complètement supprimé cette fenêtre de 24h. Une cookie appartenant à un domaine disposant de fonctionnalités inter-sites est désormais automatiquement partitionné.
  • Avec ITP 2.1, Apple s’attaque aux cookies first party (déposés par le domaine visité par l’utilisateur) en réponse aux plates-formes publicitaires comme Facebook qui avaient migré leur tracking vers des cookies first. Cette disposition impacte désormais les éditeurs de solutions Analytics qui exploitent le cookie first party .

L’intention initiale est évidemment bonne et on ne peut que s’en réjouir : la course à l’ultra-ciblage publicitaire a généré de nombreuses dérives de la part de certains acteurs de l’AdTech prêts à tout pour récolter cette sacro-sainte donnée !

Analystes bienveillants et publicitaires peu scrupuleux sont désormais logés à la même enseigne. La pratique de l’analytics vise à améliorer la convivialité et l’expérience utilisateur et ne peut être comparée à certaines régies publicitaires qui traquent vos moindres faits et gestes sur Internet pour vous pousser des bannières ultra-ciblées ! Installer Google Analytics ou AT Internet sur votre site ne fait pas de vous une mauvaise personne ! Comme le dit l’excellent Simo Ahava, on a jeté le bébé avec l’eau du bain !

Est-ce que l’enjeu de protection de l’utilisateur est si important pour qu’Apple prenne le risque de déstabiliser toute une industrie ? Ou est-ce que derrière l’ITP ne se cacherait pas une nouvelle guerre larvée entre Apple et ses compères des GAFA, Google et Facebook ? Probablement un peu des deux…

Quelles conséquences de l’ITP 2.1 ?

Les conséquences sont évidemment différentes selon les acteurs de la chaîne de valeur du marketing digital.

Pour les utilisateurs

Clairement, il est peu probable que l’ITP 2.1 fédère un mouvement de gilets rouges qui occuperaient des ronds points tout en réclamant le retour du cookie first party. Même si certaines études voudraient nous faire croire que les internautes seraient prêts à partager leurs données en échange d’une expérience personnalisée, ils rejettent dans leur grande majorité des publicités considérées comme intrusives. L’essor des adblocks confirme bien ce phénomène. Cette usure des internautes à propos de la publicité est à l’origine du RGPD, .

Pour les annonceurs

Le ciblage programmatique et le retargeting reposent principalement sur les cookies. Le reach des campagnes ciblant des audiences Safari sera donc moins performant puisqu’un utilisateur sera considéré comme un nouveau au bout de 7 jours. Le capping des impressions publicitaires sera également affecté.

Les annonceurs devront ainsi définir des scénarios de campagnes spécifiques pour les audiences Safari.

Pour les analystes

L’analytics n’est pas et ne sera jamais une science exacte. C’est une discipline qui doit permettre de prendre des décisions business et digitales à partir de l’observation de tendances.

Les web analystes doivent composer en permanence avec des données imparfaites. Par exemple, l’essor des parcours cross-devices avait déjà complexifié les analyses basées sur l’utilisateur et rendu impossible les études d’attribution parfaites qui permettraient d’avoir une vue complète des parcours d’achat. Si l’ITP 2.1 introduit un nouveau biais statistique à prendre en compte dans ses analyses web, il est en revanche plus gênant pour les A/B Tests. C’est l’enseignement d’un test qui pourrait être totalement remis en cause selon la proportion d’utilisateurs Safari à moins de les exclure par défaut du test.

Pour les régies publicitaires

L’ITP 2.1 ne change pas grand chose car les versions précédentes, 1.0 et 2.0 avaient déjà porté un sérieux coup à une industrie dont les technologies programmatiques et retargeting sont cookie dépendantes.

Criteo, numéro 1 mondial du retargeting et ex-licorne française a ainsi frôlé en 2018 la catastrophe industrielle et a annoncé des chiffres 2018 décevants (stagnation du chiffre d’affaires et baisse du résultat net).

L’ITP est au final un nouveau défi à relever parmi d’autres : l’hégémonie de Google & Facebook, la fraude au clic ou le RGPD….

Pour les éditeurs

L’impact pour les éditeurs dont le business repose grandement sur la monétisation de données third-party est évidemment important, surtout si le site s’adresse à une population technophile et utilisatrice d’Apple…

Mais le RGPD était déjà passé par là. La solution pour les éditeurs pourrait résider dans l’”embasement” rapide de ses internautes. Mais plus facile à dire…

Quelles alternatives et solutions pour les annonceurs et analystes ?

1. Ne pas miser sur des alternatives techniques pour l’instant insatisfaisantes

Des solutions comme le Fingerprinting ou le Local Storage peuvent remédier au problème de limitation de la durée de vie du cookie first et faciliter la reconnaissance d’un même utilisateur au-delà de 7 jours.

Mais ces technologies sont au final dans le même esprit que le cookie et vont être également bannies de la part de Safari et Firefox…

La data science pourrait constituer un recours intéressant en permettant de :

  • Estimer les conversions sur Safari à partir de modèles de prédictions statistiques.
  • Reconnaître un même utilisateur à partir de l’analyse de millions de données de navigation/ comportements.

Les approches data science/ machine learning sont les plus prometteuses sur le papier mais restent pour l’instant expérimentales et très coûteuses.

2. Estimer le degré de fiabilité de ses données

La première question à se poser est la longueur du parcours.

Moins vos produits sont coûteux, plus vous aurez de chances d’avoir des parcours d’achat mono-device inférieurs à 7 jours. L’impact de l’ITP sera donc faible.

A l’inverse, si votre panier moyen est élevé et génère de nombreuses visites en amont de la conversion à partir de plusieurs terminaux, alors il vous sera nécessaire de prendre vos analyses avec des pincettes.

Cette première estimation du degré de fiabilité des données nous semble être une étape indispensable pour intégrer des éventuels biais au sein des analyses.

3. Repenser son parcours client comme une succession de mini-parcours

Le graal de l’analytics est de pouvoir reconstituer de façon totalement fiable les parcours avant l’achat afin notamment de mesurer la contribution précise de chaque canal (SEO, SEA, display…). Mais cette quête du graal est désormais impossible entre le phénomène cross-devices et l’ITP 2.1.

Plutôt que de perdre de l’énergie dans cette course à l’échalote, nous recommandons de découper son parcours client en mini-parcours où chaque interaction canal – site serait mesurée selon son impact sur une micro-conversion et non sur la conversion principale. Ce n’est pas parce qu’un levier comme le display ne génère pas de conversions directes qu’il faut le jeter à la poubelle. Ne remplit-il pas son rôle s’il génère des sessions qualifiées ou le téléchargement d’un livre blanc par exemple. ?

Cette approche demande un nécessaire effort de pédagogie mais elle nous semble la plus pertinente et la plus simple à déployer.

4. “Embaser” l’internaute au plus vite dans le parcours

ITP 2.1, navigation cross-devices… Un site comme Vente-Privée n’a pas tous ces problèmes puisqu’il force l’internaute à se loguer avec son mail pour accéder aux contenus du site.

Une solution consisterait donc à récupérer au plus tôt dans le parcours client l’adresse mail pour favoriser la navigation loguée ou s’appuyer sur un logiciel de marketing automation.

Oui, mais comment ?

Tout dépendra évidemment de la promesse car l’internaute ne se laissera pas convaincre facilement et c’est tant mieux !

Si on regarde cette approche positivement, on peut se dire que les sites vont rivaliser de créativité pour séduire les internautes en leur proposant un service client irréprochable (chat, chatbot…) ou des contenus à haute valeur ajoutée (livres blancs, webinars…). Mais cette approche pourrait plus que jamais inciter à des titres et CTA putaclic…

Quel avenir pour l’ITP 2.1 ?

L’ITP 2.1 impacte désormais 20 à 25% des sessions web. L’impact est non négligeable pour les analystes web mais loin d’être insurmontables à ce jour.

Les conséquences sont plus fâcheuses pour tous les acteurs de la chaîne de valeur publicitaire (annonceurs, régies, éditeurs) qui devront définir des scénarios et audiences spécifiques à Safari.

La question est surtout de savoir si le phénomène risque de s’amplifier et précipiter une bonne fois pour toute le cookie dans la tombe !

A court terme, on voit mal Google appliquer les mêmes principes que l’ITP à Chrome, le navigateur le plus utilisé au monde, tant qu’il n’aura pas trouvé de solutions alternatives au cookie.

Le danger pourrait venir du législateur puisque le règlement ePrivacy, encore en examen au Parlement et au Conseil européen, prévoit de recueillir le consentement des utilisateurs pour l’utilisation des cookies directement et définitivement, totalement ou partiellement à l’ouverture du navigateur, quel qu’il soit, et non plus site par site (comme commence à le faire Firefox). Affaire à suivre…

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